Qualifiée d’Oberwilding – « super-sauvage » – dès sa mort à l’âge de 25 ans, la manière forte du premier expressionniste viennois Richard Gerstl annonce l’art de la dissonance d’Arnold Schoenberg. Francfort consacre une bouleversante rétrospective à un génie foudroyé par lui-même. [...]
Insensible à toute forme de bavardage allégorique, il revendique la beauté de la laideur et peint sans préparation, de manière frontale, nerveuse et impitoyable, 80 portraits, autoportraits, nus et paysages (dont 60 ont été conservés et dont 53 sont ici montrés). Le fantomatique Portrait des sœurs Caroline et Pauline Fey de 1905 (repoussé avec effroi par lesdites sœurs) aux corps invisibles, comme amputés des deux mains et des deux pieds, et aux grands yeux noirs fixes comme des billes, évoque encore l’art allusif de Manet. Ignorant la tentative contemporaine de Paula Modersohn-Becker, l’ultime Autoportrait nu de 1908 pourrait aussi paraître renvoyer au seul exemple de Dürer, mais un Dürer dont le réalisme incisif aurait été totalement bouleversé par les élongations d’orage d’El Greco, les angoisses existentielles de Munch et les tourbillons étoilés de Van Gogh. Loin d’annoncer l’expressionnisme viennois de Schiele ou Kokoschka, Gerstl, dans ses compositions exécutées à toute allure et comme tartouillées à l’aveugle, semble plutôt anticiper sur l’expressionnisme abstrait d’après-guerre, celui de Willem de Kooning ou d’Eugène Leroy. [...]


Extrait de l'article d'Emmanuel Daydé publié dans le N°77 de la revue Art Absolument: parution le 19 mai 2017

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